La vision occidentale du Progrès a imposé un modèle hégémonique de vivre, de produire et de nous organiser aux prétentions désormais planétaires. Le développement du capitalisme, étendant son empire sur la nature et les peuples du monde, ainsi que les révolutions industrielles successives à la source d’incessantes innovations technologiques, nous ont conduits à un monde globalisé, colonisé, aseptisé et lisse comme les écrans froids omniprésents de la nouvelle révolution numérique.
Le système domine, certes, mais il peine à s’imposer. Il est même aujourd’hui largement contesté pour avoir engendré cette ère de l’anthropocène qui nous mène collectivement au bord du gouffre écologique. Et l’histoire de son imposition est tout autant faite de crises et de résistances, de révoltes et d’innovations (sociales cette fois-ci) pour réinventer d’autres manières de vivre, de produire et de nous organiser. En d’autres termes, le système n’a jamais fait l’unanimité. Il porte même en son sein, comme le rêvaient les précurseurs des socialismes, les ferments de sa critique et de son dépassement.
Alors que nous célébrons cette année les 150 ans de la Commune de Paris, le récent Appel zapatiste de janvier 2021, Une déclaration… pour la vie, témoigne de la vitalité de ces dynamiques sociales : « nombreux sont les mondes qui vivent et qui luttent dans le monde, et toute prétention à l’homogénéité et à l’hégémonie porte atteinte à l’essence de l’être humain : la liberté. L’égalité de l’humanité se trouve dans le respect de la différence. C’est dans sa diversité que se trouve sa ressemblance », nous disent les zapatistes.
Dans une perspective à la fois historique et actuelle, globale et locale, ce numéro de la revue Possibles entend ouvrir une fenêtre sur la pluralité des possibles qui nous entourent, témoignant des diverses expériences, passées et présentes, ici et ailleurs, de la liberté et des multiples communautés autonomes qui parcourent le chemin de l’utopie-en-train-de-se-faire. Notre intention est d’offrir une exploration critique des façons d’incarner ces mondes alternatifs, de révéler ces mondes hors système pour faire imploser la prétention hégémonique du modèle dominant, afin, pour paraphraser Miron, d’ « arriver à ce qui commence ».
Rassemblant des textes de Camille Payeur et Pierre-Luc Baril, Gus Massiah, Samuel Raymond, Marcel Sévigny, Geneviève Proulx-Masson, Atlantis Puisegur et Marie Soleil L’Allier, Marie-Ève Arbour, Nomez Najac et MarieSoleil Garzon, Débora Nunes, Alphonse Stephane Essex, Raphaël Canet et Felix Babineau ainsi que Louis Astoux, ce numéro sur le hors système nous permet de croiser ces fils qui, entre l’individu et la communauté, le local et le global, l’avant et l’après, l’ici et l’ailleurs, tissent la trame complexe de nos utopies.