(Ré)occuper l'immobilier: perspectives croisées sur la production du logement abordable au Québec
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Comment citer

Banville, M.-S., Gigère, F. et Myre, L.-P. (2022). (Ré)occuper l’immobilier: perspectives croisées sur la production du logement abordable au Québec. Revue Possibles, 46(1), 50-57. https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/index.php/revuepossibles/article/view/473

Résumé

Un développeur immobilier privé qui souhaite financer un projet peut garantir à une institution financière la marge de profit qu’elle désire et aux investisseurs, le rendement annuel qu’ils exigent. Il peut aussi aisément accroître son portefeuille immobilier en le refinançant et en mobilisant cet effet de levier pour multiplier ses acquisitions. En effet, en l’absence de contraintes liées à l’abordabilité des unités produites, les développeurs immobiliers privés peuvent se contenter de suivre les règles d’un jeu conçu pour leur propre réussite.  

Les développeurs et promoteurs sociaux, en revanche, doivent composer avec les règles d’un jeu dont les finalités jouent contre eux. Plus souvent qu’autrement, les unités de logements abordables sont produites malgré les règles du jeu; en dépit des produits financiers existants et des normes de financement hypothécaires. De plus, lorsque des subventions gouvernementales sont disponibles pour appuyer la production de logements abordables, celles-ci sont chroniquement insuffisantes, généralement décaissées avec une lenteur stupéfiante et accompagnées d’exigences de reddition de compte s’étalant souvent sur plusieurs décennies. Dans ce contexte, chacune des unités abordables produites au Québec —qu’elles soient de construction neuve ou acquise dans le marché existant— relève d’un geste agressif. Dans le paysage immobilier actuel, l’abordabilité n’est jamais offerte ou naturelle, elle doit être saisie, arrachée. Produire du logement abordable dans un marché immobilier assiégé par la demande spéculatrice équivaut à ramer à contre-courant.  

Jour après jour, les personnes qui œuvrent à la production du logement abordable au Québec jouent du coude et rivalisent d’intelligence, de stratégie et de ténacité. Trop souvent effectué dans l’anonymat le plus complet, cet important travail contribue néanmoins à offrir, contre vents et marées, un toit aux membres les plus vulnérables de notre société. Pour ce numéro, Possibles a invité François Giguère, directeur général de SOLIDES et Louis-Philippe Myre, directeur général d’Interloge, à prendre parole. SOLIDES et Interloge sont des sociétés acheteuses à but non lucratif, respectivement propriétaires de 650 et 750 unités abordables dans la grande région de Montréal. La mission de ces organisations consiste à extraire des unités du marché spéculatif et à assurer leur abordabilité pérenne. Autrement dit, ces organisations sont des propriétaires dont la mission consiste à garder leurs loyers abordables; le rêve de tout locataire.  

Les perspectives croisées offertes par François Giguère et Louise-Philippe Myre dévoilent une capacité à occuper le paysage immobilier actuel tout en parvenant à l’habiter différemment. Ces deux entrepreneurs sociaux nous partagent ici des réflexions sur leur pratique professionnelle, sur les défis sociaux, politiques et techniques auxquels ils sont confrontés ainsi que leur vision pour l’avenir.  

 

Vers de nouveaux paradigmes de développement pour l’immobilier abordable 

Par François Giguère 

À la fin des années 90, alors que j’étais organisateur communautaire dans un CLSC, un groupe de défense de droits avait fait appel à mon soutien pour une situation à laquelle il n’était pas préparé : une jeune femme de 17 ans était devenue, de facto, cheffe de famille avec la responsabilité de sa mère et de ses deux jeunes frères, une famille qui se retrouvait subitement sans logement et sans réseau de soutien. Même si nous avions trouvé des solutions temporaires, cette situation m’a bouleversé. Comment une famille entière pouvait-elle se retrouver ainsi à la rue? N’était-ce pas une situation que seuls des individus très marginalisés vivaient? 

Quelques années plus tard, je travaillais pour un comité logement, à Châteauguay, et c’est par dizaines que de telles familles se retrouvaient ainsi sans logement. C’était la crise du logement des années 2000. Rapidement le gouvernement québécois avait mis en place des mesures d’urgence afin de secourir, héberger puis reloger ces ménages (des milliers à l’échelle du Québec). Il avait aussi mis en place les conditions pour mettre en route la création de 15 000 nouveaux logements sociaux, l’équivalent de cinq années de programmation du programme AccèsLogis. 

Avec la situation actuelle, qui est très identique à celle qui prévalait il y a 20 ans, les locataires sont aux prises avec une crise du logement et un gouvernement qui la nie. Pour moi, ce sont trois moments qui illustrent la dégringolade du droit au logement au Québec. 

Alors que l’année 1994 est marquée au fer rouge comme étant l’année du retrait du gouvernement canadien du développement de logements sociaux, je crois qu’elle est aussi un point tournant, un moment dans notre histoire à partir duquel la situation des locataires canadiens et québécois s’est dégradée. En plus du désengagement des gouvernements, les mutations du domaine immobilier, particulièrement celles affectant le parc de logements locatifs privés abordables, génèrent une immense précarisation des conditions de logements des locataires et une perte d’abordabilité. Comment s’en surprendre? Le gouvernement canadien venait de laisser tout le champ libre au secteur privé. 

Le domaine dans lequel je travaille maintenant à titre de directeur général de SOLIDES, un organisme sans but lucratif en habitation, en est un où l’on observe quotidiennement les divergences d’intérêts entre deux groupes de citoyens : ceux qui possèdent le foncier et ceux qui paient un loyer pour en occuper une fraction. Les propriétaires, surtout ceux qui possèdent de grands immeubles multifamiliaux, ont investi des fonds pour dégager un rendement. Le plus souvent, ils assurent ce rendement de deux manières. D’une part, on retrouve ceux qui optent pour un entretien minimal de leurs immeubles, pairé avec une hausse des revenus (les loyers). D’autre part, les adeptes de la rénoviction expulsent leurs locataires, transforment les logements et trouvent de nouveaux locataires qui paieront beaucoup plus cher. Avec cette seconde approche, les propriétaires visent à augmenter la valeur marchande de l’immeuble et prévoient souvent revendre l’immeuble dans un horizon de cinq à sept ans.  

Ces divergences d’intérêts sont actuellement exacerbées en raison de l’immense potentiel de profits dans le domaine immobilier, la valeur refuge qu’il est devenu, la titrisation, la prolifération  des fiducies de placement immobilier (real estate investment trusts), la spéculation, etc. Vous remarquerez qu’aucune de ces raisons n’est en rapport avec la qualité des logements. La qualité de vie des locataires, l’abordabilité, la salubrité et la sécurité de leurs logements sont affectées par des dynamiques financières sur lesquelles les locataires n’ont ni emprise, ni influence et très peu de moyens pour se protéger. Leurs foyers ont été financiarisés. 

C’est dans cet environnement que des organismes comme SOLIDES tentent de s’insérer afin de faire une différence tangible dans la vie des locataires. Nous travaillons à donner une utilité sociale à l’immobilier, à le sortir de la logique spéculative et à améliorer la qualité du cadre bâti. En modérant la hausse des loyers, nous parvenons à créer, au fil des ans, un important écart de coût avec des immeubles comparables dans le marché privé. 

Différentes stratégies peuvent être utilisées par nos organisations pour générer de l’abordabilité. Je me concentrerai ici sur l’acquisition des immeubles multifamiliaux privés existants, actuellement très affectés par les transformations dans le domaine immobilier. Les deux tiers du parc immobilier de SOLIDES – qui compte actuellement 650 logements– ont été acquis par le biais de notre stratégie d’acquisition d’immeubles multifamiliaux . Lors de l’acquisition initiale de ces immeubles par SOLIDES, les loyers étaient identiques à ceux des autres logements des mêmes quartiers. Aujourd’hui, ces mêmes logements ont des loyers qui se situent généralement entre 70 et 80% des « prix du marché », essentiellement parce que les coûts des loyers n’ont pas suivi la même courbe que ceux du marché privé. Cette situation s’explique par le fait que les dettes associées à ces immeubles sont en dollars des années d’acquisitions et ne reflètent pas l’appétit du propriétaire. 

L’une des plus importantes difficultés que nous rencontrons dans le développement de notre parc immobilier est justement cet appétit financier qui dicte les prix demandés pour les immeubles actuellement mis en vente. Traditionnellement, SOLIDES achetait des immeubles à un prix représentant 15 ou 16 fois les revenus nets des loyers que rapportent les logements. À titre d’exemple, pour un immeuble de six logements dont les loyers annuels totaux sont de 60 000 $ et dont les dépenses d’opération hors paiement de la dette sont de 20 000 $, SOLIDES formulerait généralement une offre d’achat de 640 000 $ –soit (60 000 $ - 20 000 $) x 16.  Or, pour suivre le marché, il est maintenant courant de devoir offrir entre 20 et 25 fois les revenus nets. Dans certains quartiers montréalais, nous en sommes rendus à offrir plus de 30 fois les revenus nets, essentiellement le double des prix normalement consentis. Dans ces conditions, il est fréquent de voir des immeubles que nous avons tenté d’acquérir être vendus à une personne ou une entreprise dont le premier objectif sera de se défaire des locataires et surtout, de leurs baux. Cette situation était hautement prévisible puisqu’elle existe depuis longtemps dans d’autres régions métropolitaines canadiennes, particulièrement dans le Greater Toronto Area et le Metro Vancouver

À SOLIDES nous avons appris à composer avec cette nouvelle situation en changeant notre paradigme. Nous n’analysons plus de possibles acquisitions en fonction de leur rentabilité probable en maintenant l’échelle de loyers en place. Nous prévoyons plutôt qu’un nouvel immeuble acquis sera déficitaire en raison du surcoût payé et que ce déficit se résorbera au cours d’un certain nombre d’années avec des améliorations locatives, une gestion plus efficiente et une lente remontée des loyers. Ces déficits sont absorbés par l’ensemble de notre organisation puisque les immeubles acquis antérieurement, tout en demeurant abordables, dégagent aujourd’hui des surplus financiers. Cette approche, assez unique en immobilier, est courante dans d’autres domaines d’activités économiques. C’est notamment ce que l’on voit souvent dans des processus de fusion/acquisition. 

Ce changement de paradigme fait de SOLIDES l’un des OBNL d’habitation les plus fonceurs au Québec. C’est un ajout à notre culture organisationnelle très déterminée, une culture qui s’exprime aussi par notre recours constant à l’équité disponible sur notre parc immobilier et le fait que nous sommes attentifs à l’augmentation constante de sa valeur. Alors que nous sommes cash poor nous trouvons notre sécurité et notre capacité de croître dans le fait d’être building rich

 

Conclusion 

Avec plus de vingt ans de progrès et une certaine recette pour le succès, nous devons pourtant demeurer vigilants et voir le verre à moitié vide. La continuelle croissance a un coût humain et organisationnel auquel nous devons être attentifs en nous assurant d’être à l’avant des changements plutôt qu’en réaction. Cet enjeu est amplifié par la pénurie de main-d’œuvre. Il s’agit actuellement d’un phénomène réel vécu par SOLIDES, en dépit de conditions de travail et de rémunération avantageuses (parce que ça aussi, ça fait partie de nos valeurs). 

Nous devons aussi prendre acte du fait que l’avenir du logement véritablement abordable n’est pas particulièrement radieux. Les programmes gouvernementaux de développement de logements dits abordables génèrent trop souvent des logements qui n’ont d’abordable que le nom. C’est, par ailleurs, une critique qui est de plus en plus répandue à ce sujet. Or, ces programmes sont souvent utilisés par des organisations comme la nôtre pour diversifier le parc de logements, répondre à des besoins spécifiques dans certains quartiers ou lorsqu’il s’agit du seul moyen de financement disponible. Lorsque les seuls outils de financement disponibles génèrent une fausse abordabilité et exigent que nous fixions des loyers supérieurs à la capacité de payer de la population cible nous sommes sans cesse ramenés à cette question: jusqu’où serons-nous prêts à plier et à demander des montants de loyers avec lesquels nous sommes inconfortables lorsque les seuls outils de financement de logements subventionnés seront ceux-là? 

Nous devons aussi être réalistes : la marchandisation et la financiarisation du domaine immobilier ne prendront pas de pause. La hausse annoncée des taux d’intérêt n’aura qu’un effet marginal pour limiter la croissance des valeurs marchandes. À la limite, elle réduira un peu le nombre d’acheteurs potentiels. Par contre, la disponibilité de l’argent continuera d’alimenter les transactions dans notre secteur. Le « marché » montréalais continue d’offrir un grand potentiel de croissance et seuls les gens inexpérimentés s’émeuvent des limites théoriques qu’offrent les règles de protection des locataires prévues par la législation québécoise. 

Nous devons apprendre à composer avec ce contexte qui demeurera difficile. Nous devons aussi apprendre à moduler notre action, c’est-à-dire à développer notre capacité de livrer plusieurs aspects de notre mission simultanément. Nous devons être capables de « sortir du privé » autant de logements que possible, tout en augmentant le rythme des travaux de rénovation, en assurant l’amélioration des conditions de vie des locataires et en maintenant l’objectif de rendre les logements véritablement abordables. 

À plus long terme, nous devons aussi travailler à atteindre une présence plus dense dans certains lieux plutôt que de posséder un ou deux immeubles dans certains quartiers, nous aspirons à des interventions sur une section de rue, un pâté de maisons, un ensemble immobilier et d’y faire émerger un projet social qui va au-delà du logement. Mais ça, c’est une autre aventure. 

 

​​Une grappe industrielle pour le logement abordable 

Par Louis-Philippe Myre 

Au Canada, voilà maintenant des années que les prix du logement ne sont plus en relation avec la capacité de payer des ménages. Cette tendance s’accélère au Québec depuis la pandémie de Covid-19. Les experts parlent d’une financiarisation de l’immobilier, un phénomène qui positionne le logement locatif comme une valeur d’investissement qui offre des actifs sécuritaires à des investisseurs mondiaux peu préoccupés par la valeur d’usage des biens acquis.  Dans ce contexte, les immeubles multilocatifs se vendent bien plus chers que ce que les loyers rapportent. Ces conditions de vente rendent toute acquisition immobilière impossible à rentabiliser sans une augmentation rapide et significative des revenus de location. Cette situation contribue au phénomène des «rénovictions» qui mène graduellement à la dislocation des communautés les plus vulnérables ; ses membres les moins fortunés étant poussés toujours plus loin en périphérie urbaine.  Le phénomène diminue aussi le pouvoir d’attraction des métropoles dont l’abordabilité pour les travailleurs et ceci est un facteur souvent négligé. 

On serait porté à penser que l’actuelle crise immobilière mènerait l’État à mettre en œuvre des politiques visant à préserver l’abordabilité de l’habitation. Or, il n’en est rien! Malgré les annonces successives du gouvernement Trudeau, le directeur parlementaire du budget du Canada affirme sans détour que les programmes de la Stratégie nationale sur le logement (SNL) ne rejoignent pas les clientèles cibles. Au provincial, le logement est toujours vu comme une dépense —plutôt qu’un investissement— et celles-ci sont budgétées au compte-goutte dans des programmes qui offrent des résultats mitigés.  

Cette dérobade de l’État vis-à-vis de ses responsabilités à l’égard du droit au logement ne renforce évidemment pas les acteurs de l’habitation communautaire qui n’arrivent tout simplement pas à tirer leur épingle du jeu dans une dynamique où ils se trouvent en compétition avec le grand capital. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Pourtant, le secteur de l’habitation communautaire représente encore et toujours une solution des plus pertinentes pour faire face à la crise de l’immobilier.  Ce secteur est composé de centaines d’organismes à but non lucratif dont la mission est de servir des milliers de personnes plus ou moins vulnérables, et ce, dans une logique hors marché et à perpétuité. 

Or, malgré un développement assez soutenu dans les trente (30) dernières années, le secteur demeure marginal alors qu’il ne représente qu’à peine 10% de l’offre de logements à faible coût.  Comme l’ensemble du parc locatif québécois, les immeubles collectifs sont vieillissants et requièrent des investissements majeurs. Seulement pour les coopératives d’habitation de la région de Montréal, la Fédération de l’habitation coopérative du Québec estimait à près de 400 millions les besoins en rénovation pour la décennie 2020. L’ampleur de ce chantier collectif risque de se traduire par un recul de l’offre, car plusieurs groupes ont du mal à se mobiliser pour maintenir leurs immeubles en état de location. 

Aussi, bien que le secteur comptabilise environ cinq milliards d’actifs immobiliers collectifs, ce dernier n'a pas une culture de développement très forte en dehors du cercle restreint des Groupes de ressources techniques (GRT). En effet, le secteur est, par nature, ancré dans une dynamique de soutien communautaire à petite échelle et non pas dans une dynamique entrepreneuriale immobilière. De plus, le secteur n’est pas en mesure de mettre à contribution ses actifs puisque ceux-ci sont captifs de conventions d’exploitation contraignantes imposées par les programmes d’habitation de l’État.  

Bien que le portrait de la situation actuelle dévoile de nombreux défis, il convient de souligner qu’aux origines du logement communautaire se trouve une véritable innovation sociale. On ne partait de presque rien, pour ainsi dire, et on a graduellement construit des réseaux de différentes formes juridiques qui, finalement, totalisent des milliers de logements et plusieurs centaines d’organismes. Avec le recul, force est d’admettre que cette croissance organique a toutefois mené à des regroupements fragmentés incapables d’agir sur la structure de l’offre de logement dans les échelles d’intervention requises pour faire une différence dans cette crise de l’abordabilité. 

Malgré ce constat peu encourageant, une lueur d’espoir subsiste, portée par des organismes comme Interloge, que je dirige depuis 2021. J’ai d’abord été séduit par l’ambition originelle d’Interloge qui voulait contrer la fatalité du logement insalubre qui caractérisait le Centre-Sud de Montréal. Mais aussi par son caractère innovant depuis 1978. Dans ses premières années, Interloge a réalisé près de 25 acquisitions immobilières menant à la création d’autant de coopératives d’habitation. La plupart sont toujours en opération aujourd’hui. Quand ces «flips coopératifs» n’ont plus été possibles, le modèle d’affaires d’Interloge a évolué vers la détention à long terme. Au fil du temps, Interloge a repris ou développé des dizaines de projets pour se constituer un parc immobilier totalisant 750 logements. Ce portefeuille immobilier d’une cinquantaine d’emplacements représente une valeur foncière de plus de 100M$ aujourd’hui.  L’organisme loue ses logements en moyenne 36% sous le prix du marché. 

Interloge se différencie de la vaste majorité des coopératives et OBNL d’habitation du Québec par sa culture entrepreneuriale unique qui l’amène à constamment rechercher des opportunités pour faire croître son parc immobilier. Puisque l’organisme est à la fois développeur et propriétaire, il comprend très bien les conditions favorables du développement qui assurent le succès d’un projet une fois en exploitation. Son modèle d’affaires s’appuie sur les meilleures pratiques de la gestion et du développement immobilier, mais sans la recherche de profit à tout prix! En 2019, une opération de refinancement d’une partie de ses immeubles lui donnait accès à une marge de crédit de plusieurs millions de dollars pour soutenir l’acquisition de terrains et d’immeubles existants.  

Pour apaiser la crise du logement, tous les centres urbains du Québec devraient pouvoir compter sur la présence d’un organisme à but non lucratif dont la mission serait d’accroître en continu le nombre de logements abordables en propriété hors marché et à perpétuité. Ces sociétés, si elles sont bien gérées, ont le potentiel et la capacité d’agir de manière structurante sur l’offre de logement abordable, un segment du marché délaissé par le secteur privé. 

Au Canada, on semble croire que les crises du logement sont inéluctables. Comme si elles représentaient une normalité banale d’un marché immobilier qu’il n’est pas possible de réguler. Or, il n’en est rien! Il est possible, avec de l’imagination et de la volonté politique, de créer des conditions susceptibles de résoudre une fois pour toutes la question du logement abordable. Un préalable à cette résolution de problème récurrent est d’abord de prendre conscience que la solution est assez simple: il suffit de structurer le marché immobilier de telle sorte qu’une proportion significative de l’offre de logements soit abordable. Je considère raisonnable de viser comme objectif que le marché immobilier résidentiel offre minimalement 20% de logements abordables. L’atteinte de cette cible permettrait d’obtenir une résilience accrue du marché immobilier résidentiel canadien et ce, peu importe la période et son contexte socioéconomique. Ce 20% de logements abordables assurerait une protection permanente aux populations les plus défavorisées de notre société : personnes avec handicap, étudiants et travailleurs culturels, par exemple. Pour quantifier la proposition, cela représente 85 000 unités de logements abordables pour la Ville de Montréal seulement alors que l’offre actuelle est de seulement 44 000 unités.  Il s’agit donc de doubler l’offre actuelle ! 

Voilà donc un programme très ambitieux qui s’inscrit fort bien dans le traditionnel modèle québécois d’intervention concertée de l’État dans le marché. Ainsi, notre gouvernement devrait commencer par l’adoption d’une Politique en habitation basée sur le droit au logement qui identifierait des orientations claires et des objectifs précis quant à la structure de l’offre immobilière résidentielle.  

  

Conclusion 

À partir de là, je suis d’avis que l’État devrait investir stratégiquement dans le secteur du logement abordable comme il le ferait pour développer une grappe industrielle. Ceci impliquerait de miser sur des acteurs clés à but non lucratif bien établis qui ont fait leurs preuves en les accompagnant dans le développement de leurs compétences et en augmentant leur capacité de développement et d’exploitation immobilière à grand volume. Cette stratégie serait complétée par un cadre règlementaire avantageux et la mise à disposition de sources de financement adaptées à leurs besoins.  

Il va sans dire que cette stratégie sectorielle adaptée aux défis du logement abordable représenterait un changement de paradigme significatif pour l’État et le secteur de l’habitation à but non lucratif.  En privilégiant une approche entrepreneuriale de l’immobilier qui ambitionne de structurer l’offre de logement abordable dans le marché, le secteur augmenterait sa pertinence en répondant davantage au besoin criant en matière de logement pour les personnes à faible revenu. Pour sa part, l’État profiterait d’économies d’échelle associées à une plus grande expertise des groupes propriétaire-développeur d’habitation à but non lucratif qui auraient comme capacité de mobiliser leurs actifs financiers dans des stratégies immobilières desservant le bien commun dans toutes les régions du Québec. Cette approche innovante du Québec en immobilier collectif m’apparait être une occasion à saisir d’ajouter une pierre importante à l’édifice du modèle québécois! 

 

Notices biographiques 

François Giguère est fondateur et directeur général de SOLIDES depuis 2007. Il est doté d’un parcours militant et d’un B.A. en travail social qui font de lui un surprenant candidat à son propre poste. Il affirme depuis des années que la modestie (qu’il ne pratique jamais) est une forme de mensonge et que la hargne est son principal outil de travail.  

Louis-Philippe Myre détient un B.A en beaux-arts, en animation culturelle et en communication.  Également titulaire d’un MBA, il est membre de l’Ordre des Administrateurs Agréés du Québec.  Depuis 2006, il a développé une connaissance approfondie des réalités sociales et politique du logement collectif, de son développement et de sa gestion. 

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